"Ça pousse !" me lance un voisin en passant devant chez moi, pendant que je jardine.
Derrière cette remarque et le sourire en coin qui l'accompagne, mon côté parano entend les moteurs des débroussailleuses qui, chaque semaine pendant toute une matinée, maintiennent rase l'herbe des jardins alentours, alors que le mien reste silencieux. J'entends l'étonnement, peut-être la critique, sur le fait que je laisse pousser les hautes herbes partout où je ne plante pas, au lieu de faire tout "propre".
Je réponds, de l'air de celle qui n'a pas du tout un côté parano (donc ravie de ce que je fais semblant de prendre pour un compliment) : "Oh oui ! Et encore, vous verrez quand il aura plu !"
Je me demande ce qu'ils pensent de moi, tous ces voisins qui sont aussi jardiniers... "et en plus, elle est paysagiste ? Ben dis donc..."
Mais laissons ma parano de côté, et gardons la petite vexation que j'ai ressentie que mon jardin ne mérite pas encore l'admiration de tous. C'est elle qui me pousse à écrire ce manifeste aujourd'hui.
Oui ! Il est temps que je secoue les derniers scrupules qui m'empêchent de jardiner à ma façon. Il est temps que je fasse le tri entre ce qui marche et ce qui ne marche pas, ou plus. Et il est temps que j'assume la préférence que je donne à une nature saine dans laquelle je me fais ma petite place, sur le "joli" pas forcément fonctionnel et qui demande tant et tant de bagarres avec le milieu, les plantes et les animaux. Sans parler du temps que ça prend de maintenir ce genre de jardin.
Voici des idées et remarques en vrac, tirées de ma courte expérience sur mon jardin corse et de ma plus longue expérience par ailleurs. Le tri se fera au fur et à mesure et me servira d'aide-mémoire pour la suite de mon projet.
- au début du printemps, j'ai créé une jolie plate-bande toute neuve entre mon jeune pommier et mon jeune poirier, et j'y ai transplanté des fraisiers. Peu après, une fourmilière s'y est installée. Car nous sommes l'objet, depuis plusieurs années, de l'intérêt des fourmis invasives, d'Argentine, de Chine, et d'autre part peut-être, qui adorent la terre travaillée, légère, désherbée. A présent, je fais la guerre aux fourmis, en remuant la terre et en dégageant mes pauvres jeunes fraisiers enterrés sous les constructions des fourmis. Qui adorent les fraises, en passant... Bravo, bien joué. Ça valait vraiment le coup de passer tout ce temps à faire une jolie plate-bande... Alternative à tester : je vais essayer d'installer des fraisiers dans mon grand talus, au milieu des plantes sauvages.
- je parlais dans mon dernier article des blettes sauvages. Il y a un pied que j'ai préservé alors que je coupais court les herbes autour, afin de semer mon blé. J'ai aussi coupé la vieille tige de la blette qui avait fait ses graines. Aujourd'hui le pied donne des petites feuilles, jeunes, mais d'autres feuilles ont jauni, séché... bref, isolée comme elle est, cette blette n'est pas très vigoureuse. Mais j'ai découvert dans mes hautes herbes d'autres pieds, qui montent à la hauteur des herbes, soit environ 1m de haut aujourd'hui. Ils sont garnis de grandes feuilles bien fraîches, bien vertes et souples, et commencent même une tige qui fleurira. Ces pieds donnent bien plus de matière comestible que mon pauvre premier pied. Je pense que les hautes herbes en protection contre le vent et la sécheresse qui a sévi cet hiver y sont pour quelque chose. Et je n'ai absolument rien eu à faire.
- j'ai vu des reportages sur certaines tribus amérindiennes qui cultivent leur nourriture sans faire véritablement de l'agriculture. Les hommes et les femmes, lorsqu'ils partent chasser ou faire leur cueillette, suivent de longs parcours. Lorsqu'ils trouvent un fruit sauvage, ils en ressèment les graines ; lorsqu'ils arrachent une plante vivace pour en récolter la racine, ils divisent le pied et le replantent en plusieurs endroits près de leur sentier. Au bout de peu de temps, leur parcours est un long jardin, sauvage, oui, mais nourricier. L'avantage est qu'ils savent que l'environnement est favorable à cette plante, puisqu'elle a poussé toute seule à l'endroit où elle est. Pas besoin de lutter contre des conditions défavorables (contrairement à mon pauvre pied de blette mis au vent et au soleil) La seule action de jardinage est le renouvellement de la plante comestible, et un peu de ménage pour en faciliter l'accès. Pourquoi ne pas faire la même chose chez moi ?
- l'agroécologie nous apprend plein de choses intéressantes, comme le semis sous couvert, que je n'ai pas encore véritablement testé chez moi mais que je voudrais initier cette année. Truc à savoir : toutes les plantes en floraison meurent si on les couche (bon, j'en connais pas mal qui redressent la tête, mais enfin, voilà le principe) ; donc, on peut semer entre ces grandes "herbes" qui protégeront le sol et le maintiendront riche et vivant autour des nouvelles pousses, sans craindre la concurrence. Très envie de tester ça. Deuxième truc à savoir : pour les graminées (comme mon blé), il vaut mieux semer puis coucher les hautes herbes autour ; pour les dicotylédons, l'inverse, on couche puis on sème.
- A propos de dicotylédons, j'ai semé fin mars des lentilles de Rascino (une commune du Latium en Italie, petites lentilles qui poussent en altitude) entre des oignons que je vais bientôt récolter. Que dire ?... les fourmis, ravies du ménage fait avant de semer, sont arrivées... maintenant je me demande si elles auront mangé toutes mes lentilles, ou si elles les auront stockées à un endroit où elles germeront toutes ensemble... bref...
Le climat change. Les espèces invasives changent aussi la donne. Aujourd'hui, le jardinier doit se faire de plus en plus un allié de la nature, jouer selon ses règles à elle, afin de parvenir à ses fins. Ça tombe bien, car mes "fins" à moi comportent des herbes folles, plein de bestioles, des surprises, du vert, du frais, des plantes sauvages comestibles que je récolte en allant à la cueillette à l'amérindienne... du vivant qui foisonne et moi au milieu.
Quelques photos du jardin en ce moment (cliquez pour agrandir), avec ces contradictions entre le "propre qui ne marche plus" et le "fouillis dans lequel je me fais une petite place"... contradictions que je vais à présent essayer de résoudre. On voit une abeille dans le cerisier, un sentier fait à la faucille dans les hautes herbes, la fourmilière qui a investit la plate-bande d'oignons (et lentilles...), mon blé d'hiver que je n'ai pas semé "sous couvert" même si j'ai laissé des herbes entre les sillons, herbes que je viens de faucher et coucher, le pied de blette en plein vent/soleil, un autre au milieu des hautes herbes, ayant des feuilles plus grandes et plus vertes.
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fabienne Peyron (vendredi, 26 avril 2019 10:01)
Bravo Feli! Pour ton jardin, pour ton écriture, ...
Ca fait du bien.
Felice (samedi, 27 avril 2019 10:19)
Merci Fabienne ! Pensées pour toi depuis la Corse